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“L’énergie solaire photovoltaïque est-elle pertinente dans le contexte gabonais ?”

Dans le contexte actuel, construire de nouvelles centrales thermiques employant les énergies fossiles comme le charbon ou le pétrole a un prix politique, environnemental et sociétal conséquent. En parallèle, exploiter l’uranium dans des réacteurs nucléaires à fission est hors de la portée de nombreux pays car ne seraient-ce que les moyens financiers et technologiques nécessaires au déploiement du nucléaire civil sont exorbitants. L’attention s’oriente donc vers les énergies renouvelables. Si on se place dans le contexte africain en général, gabonais en particulier, les décideurs politiques doivent fournir de l’énergie électrique à une population en croissance rapide tout en préparant la transition des activités économiques vers l’électrification. Parmi toutes les énergies renouvelables, le solaire thermique, le solaire thermodynamique et surtout le solaire photovoltaïque apparaissent comme étant les plus accessibles aux Etats africains. L’ensoleillement dont bénéficie le Gabon tout au long de l’année permet d’envisager l’exploitation optimale des panneaux photovoltaïques à grande échelle mais il convient d’étudier la pertinence de cette technologie face aux réalités du pays.

 

La production et la fourniture d’électricité au Gabon

Accélérée par la croissance économique et l’urbanisation du pays à partir du boom pétrolier des années 70, la croissance de la consommation d’énergie est devenue un enjeu stratégique. La question de l’autosuffisance énergétique du pays n’est pas en reste. La production d’électricité du Gabon est passée de 993 gigawatts-heures (GWh) en 1992 à 2283 GWh en 2017 selon une étude de l’Agence Internationale de l’Energie. Toujours selon cette étude, l’électricité provenant des barrages hydroélectriques de Kinguélé et de Tchimbélé a été supplantée par l’électricité produite par les centrales thermiques à gaz naturel durant ces 25 années. La population gabonaise jouit d’un taux d’accès à l’électricité de plus de 80% en 2020 grâce à la multiplication des sources d’énergie électrique. Toutefois, des inégalités et des irrégularités demeurent. Les zones urbaines sont bien mieux loties que les zones rurales. En outre, même au sein des villes, tous les quartiers ne bénéficient pas des mêmes infrastructures en matière d’électricité. Ainsi, beaucoup de quartiers souffrent d’un manque de transformateurs. Les ménages, les entreprises et les administrations qui s’y trouvent souffrent de coupures de courant, de sous-tensions et d’autres maux qui ne pourraient être résolus que par le biais d’un renforcement des infrastructures. De plus, les coupures de courant sont habituelles, y compris dans les quartiers les mieux dotés en termes d’infrastructures électriques.

Chaque gabonais consommait en moyenne 1119 kilowatts-heures (kWh) en 2014 selon une étude de la Banque Mondiale. Dix ans plus tard, cette consommation a fortement augmenté. Les besoins en électricité de la population croissent d’année en année du fait de la croissance économique et de la croissance des revenus des ménages. Les nouvelles dépenses en électroménager et l’industrialisation du pays engendrent la hausse de la consommation d’électricité.  Force est de constater que le réseau électrique existant ne répond pas entièrement aux besoins de la population. L’achat de l’électricité a lieu à des tarifs que certains usagers contestent car ils estiment payer plus que ce qu’ils consomment réellement. D’autres se plaignent des coupures de courant et des sous-tensions récurrentes dans de nombreux quartiers. La production et la fourniture d’électricité en zone urbaine demeurent problématiques.

L’énergie solaire est utilisée majoritairement dans les zones rurales car elles ne disposent pas des infrastructures de production et d’approvisionnement de l’électricité.  Les cellules photovoltaïques sont déployées dans les villages pour leur fournir de l’électricité inépuisable qui ne nécessitera pas d’investissements massifs en termes d’infrastructures. Elles opèrent en autoconsommation et compensent l’absence de réseau d’alimentation électrique traditionnelle.

Malheureusement, les installations photovoltaïques ne génèrent que 2 à 3 GWh chaque année au Gabon. Est-ce dû au potentiel de l’énergie solaire au Gabon ? Est-ce dû à l’état des technologies solaires contemporaines ? Est-ce dû à d’autres facteurs que l’environnement naturel et la technologie ?

L’évolution du solaire photovoltaïque

L'énergie solaire électrique ou photovoltaïque provient de la transformation directe de la lumière du Soleil en électricité contrairement au solaire thermodynamique ou thermique qui implique la transformation du rayonnement solaire en chaleur qui sera ensuite exploitée, stockée ou utilisée pour générer de l’électricité. Lorsqu'un photon d'énergie suffisante atteint la zone de transition d’une cellule photovoltaïque composée de matériaux semi-conducteurs, habituellement de deux couches de silicium dopées différemment, il arrache un électron à l'atome de silicium en y laissant un trou. Cet électron, sous l'effet du champ électrique, se déplace du côté N tandis que le trou migre du côté P (excitation d'un électron de la bande de valence vers la bande de conduction). Ainsi, grâce aux photons qui transmettent leur énergie aux électrons, un mouvement de charges électriques se produit et un courant se manifeste à l'intérieur de la matière cristalline. C'est une énergie propre et renouvelable, relativement inépuisable. Le système photovoltaïque se présente aujourd’hui sous différentes formes de matériaux actifs, avec ou sans concentration, avec ou sans contacts dans les cellules, à couches minces ou épaisses, en panneaux monocristallins ou en panneaux polycristallins.

Les cellules photovoltaïques sont passées d’une efficacité de 1% en 1883 pour la toute première à une efficacité moyenne comprise entre 16% et 25% pour la plupart des cellules en silicium vendues aujourd’hui. La deuxième génération de cellules photovoltaïques apparut à partir des années 90. Cette génération de cellules photovoltaïques est basée sur une méthode de production épitaxiale permettant de créer des feuilles beaucoup plus souples et plus fines que celles de la première génération. L’efficacité est comprise entre 28% et 30%, un autre des principaux avantages de cette génération. Malheureusement, les coûts demeurent beaucoup trop élevés pour une production de masse. Ces cellules sont donc limitées à l’aéronautique, aux installations militaires sensibles, aux programmes spatiaux et autres installations bénéficiant de budgets importants.

La troisième génération avait pour but l’amélioration des panneaux par le biais de nouveaux matériaux, de nouvelles structures moléculaires. Des chercheurs et des entreprises du monde entier travaillent encore sur diverses technologies telles que le gap quantique, les nanotubes de carbone ou encore les nanostructures d’oxyde de titane dopées aux colorants (DSSC). Ces nouvelles cellules photovoltaïques pourront être utilisées pour créer une « peinture » qui recouvrira les bâtiments ou même les routes afin de générer de l’énergie en occupant moins d’espace. L’efficacité énergétique de ces systèmes sera très élevée comme l’ont démontré les premiers prototypes (de 30% à 60%). La quatrième génération de panneaux solaires associe des nanoparticules à des polymères pour fabriquer des cellules plus efficaces et moins chères que celles employant le silicium, l’or ou le titane. Les panneaux seraient basés sur de multiples couches qui exploiteraient une part plus importante du spectre lumineux, y compris le spectre infrarouge. La NASA a utilisé cette technologie lors de ses missions de longue durée sur Mars, preuve de l’efficacité pratique de cette technologie dans les environnements les plus hostiles. Toutefois, les coûts demeurent trop élevés pour une commercialisation de masse pour le moment.

Pour faire de l’énergie solaire une source d’énergie compétitive et encore plus abordable, la recherche avance quant à des alternatives au silicium en formulant des matériaux photovoltaïques artificiels conçus dès le départ pour être très efficaces dans la capture des rayons du Soleil. Des matériaux naturels comme la pérovskite (titanate de calcium) sont l’objet d’études poussées. Les propriétés photovoltaïques de ce minéral ont été découvertes en 2012. Des équipes de scientifiques de nombreux pays en développé des prototypes de cellules photovoltaïques employant ce minéral avec un record d’efficacité de 22%, pratiquement le rendement des cellules employant le silicium.

 

Le potentiel du solaire photovoltaïque

La quantité d’électricité générée par les cellules photovoltaïques dépend de l’intensité et de la qualité du rayonnement reçu. La couverture nuageuse et la durée du jour sont des facteurs non négligeables. La définition et l’utilisation de la puissance crête (watt-crête) au lieu de la puissance (watt) indique que les subtilités de l’énergie solaire photovoltaïque sont de mieux en mieux comprises. Selon EDF ENR (la filiale photovoltaïque du groupe EDF), le watt-crête (Wc) correspond à la délivrance d'une puissance électrique de 1 watt, dans des conditions standard de référence : bonnes conditions d'ensoleillement, orientation favorable du panneau solaire, température adaptée et stable, bonnes conditions d'irradiance et autres facteurs comme la température ambiante et le taux d’humidité. Cette définition précise assure une mesure uniforme de la performance des panneaux solaires indépendamment de leur fabricant ou de leur modèle. Ceci facilite la comparaison des capacités des panneaux solaires, en particulier dans le cas d'installations solaires plus vastes. Le même panneau photovoltaïque peut produire 2 voire 3 fois plus d’électricité selon sa localisation et les conditions environnementales.

L’Afrique jouit d’un potentiel photovoltaïque inouï. La majeure partie du continent est située en zone tropicale et équatoriale. La durée d’ensoleillement est stable tout au long de l’année et l’ensoleillement reçu est intense. Avec plus de 3000 heures d’ensoleillement par an dans la majorité des pays, l’Afrique compterait entre 40% et 60% des emplacements idéaux pour l’exploitation de l’énergie solaire pour seulement 20% de la superficie continentale de la Terre. Ce potentiel colossal est confirmé par des études scientifiques récentes qui estimèrent les réserves totales d'énergie solaire théoriquement disponibles en Afrique à près de 60 millions de térawatts-heures (TWh) par an dans des conditions standard donc 60 millions de térawatts-crête (TWc).

Le Gabon est traversé par l’Equateur. La durée d’ensoleillement est importante et l’angle d’illumination est optimal. Malheureusement, le climat équatorial riche en pluies, la forêt dense, le taux d’humidité élevé et la présence de nombreux nuages faisant obstacle à la lumière solaire sont des facteurs environnementaux qui limitent le potentiel du solaire au Gabon. Une surface photovoltaïque de 1 mètre-carré installée au Gabon peut produire 4 à 4,6 kWh par jour, soit 1500 à 1700 kWh par an. C’est loin des 6 à 7 kWh par jour (2200 à 2600 kWh par an) que produira cette surface en zone saharienne mais au vu de la consommation d’électricité moyenne de chaque gabonais sur une année, une surface photovoltaïque de 4 m² répondrait en grande partie aux besoins d’un ménage de 4 personnes. Cette électricité sera surtout utilisée en autoconsommation comme dans les zones rurales mais aujourd’hui, avec la maturité du solaire photovoltaïque, d’autres usages naissent.

 

Le solaire photovoltaïque en France : un marché en croissance rapide

Les avancées rapides en matière cellules photovoltaïques, de batteries, d’onduleurs et autres équipements électriques offrent de nouvelles possibilités au solaire photovoltaïque. La disponibilité des compétences techniques sur le marché, l’existence de la concurrence et son influence sur les prix, la capacité d’investissement public et privé et la recherche scientifique permettent l’essor du solaire photovoltaïque en France.

Le tout dernier bilan annuel d’Enedis, filiale d’EDF chargée de la gestion et de l'aménagement de 95 % du réseau de distribution d'électricité en France, confirma le renforcement de la croissance du solaire. Avec plus de 834 000 installations photovoltaïques en France en France fin 2023, le solaire photovoltaïque a connu une croissance de 33% depuis 2022. Les installations de moins de 36 kW représentaient 95% du parc photovoltaïque raccordé au réseau traditionnel fin 2023. Trois types d’installations photovoltaïques furent observés : 45% pour l’injection totale de l’électricité produite sur le reste du réseau électrique, 46% pour l’autoconsommation avec injection du surplus sur le reste du réseau électrique, 9% pour l’autoconsommation sans injection sur le reste du réseau électrique.

Les propriétaires de maisons individuelles choisissent principalement l'autoconsommation avec possibilité de revente du surplus. C'est le segment du résidentiel photovoltaïque qui a porté la forte croissance du marché photovoltaïque en France avec 83% d'installations en plus en 2023 versus l'année précédente. Le segment résidentiel représente environ 55% du parc photovoltaïque en France en nombre d'installations mais, sans surprise, uniquement 10% de la puissance électrique générée. Difficile de comparer quelques mètres-carrés de tuiles photovoltaïques sur la toiture d'une maison individuelle et le million de panneaux photovoltaïques sophistiqués installés dans les grands parcs photovoltaïques français comme celui qui se trouve en Gironde. Lorsque le consommateur a la possibilité de consommer, stocker et revendre l’électricité qu’il produit de manière autonome, il choisira cette option car elle lui assure un retour sur investissement et l’autonomie.

L’ascension du solaire photovoltaïque en France a bénéficié d’accélérateurs liés à une volonté politique explicite. L’Etat mit en place des subventions, des aides au financement, des prêts avantageux, des mécanismes de leasing, des déductions de TVA et d’autres mécanismes destinés à encourager le secteur privé à suivre l’impulsion du secteur public. Les engagements environnementaux de la France l’ont poussée à allouer plusieurs milliards d’euros chaque année à la recherche et au financement de projets d’énergies renouvelables. L’électrification de la vie quotidienne et des activités économiques encourage les acteurs privés à suivre l’impulsion de l’Etat en matière d’énergies renouvelables pour se conformer aux lois en vigueur.

L’exemple français permet d’envisager des axes de développement pour le solaire photovoltaïque au Gabon.

 

Développer le solaire photovoltaïque au Gabon

Le cas de la France prouve le caractère primordial de la volonté politique en vue du développement du solaire photovoltaïque tant pour les administrations publiques que pour les acteurs privés. 

Au Gabon, le secteur privé s’empare progressivement de la question. Des entreprises de tailles variées acquièrent les compétences nécessaires à l’installation de panneaux photovoltaïques, des batteries, des onduleurs et du câblage électrique adéquat. Ces entreprises sont désormais capables de concrétiser les projets solaires de toutes les envergures, tant pour les acteurs privés que pour l’Etat. La chaîne logistique est maîtrisée. Les fournisseurs et les spécialistes de panneaux photovoltaïques, d’onduleurs, de batteries et de câblage électrique sont connus. Si on s’intéresse aux start-ups comme B2M Technologies, l’expertise existe en matière de projets de ce type, tant auprès d’ONG en zones rurales qu’auprès d’administrations publiques et de personnes privées. Les installations existantes n’ont pas pour but de supplanter le réseau traditionnel mais avec le soutien de l’Etat, des installations privées d’une ampleur plus importante pourraient voir le jour.

Comme en France, l’Etat a la possibilité d’initier l’essor du solaire photovoltaïque. La question du solaire au Gabon est en premier lieu une question de financement comme dans les autres pays. On pourrait s’appuyer sur la mise en place de subventions, de crédits aux taux avantageux ou de déductions fiscales ciblant les personnes privées investissant dans le solaire photovoltaïque. Ces mesures permettraient d’établir un climat de confiance et s’inscriraient parfaitement dans une stratégie incluant également la mise à niveau des infrastructures électriques pour prendre en charge l’autoconsommation avec injection du surplus. Cette revente du surplus motivera directement les particuliers si les tarifs de revente sont comparables aux tarifs de l’électricité sur le réseau traditionnel. Au vu des insuffisances du réseau traditionnel et de ses sources d’électricité, cette aide serait la bienvenue.

Enfin, force est de constater que la population gabonaise ne connaît pas encore les bienfaits de l’énergie solaire. Comme beaucoup de nouvelles technologies, l’énergie solaire n’a pas encore intégré le zeitgeist gabonais. Les ONG et les administrations ont concrétisé des projets d’éclairage public dans les villes et d’alimentation électrique en zones rurales mais le public n’a pas encore conscience de la pertinence du solaire. L’ensoleillement dont bénéficie le Gabon est une donnée connue mais d’autres données comme les prix de plus en plus attractifs des installations solaires, le développement des configurations permettant l’autoconsommation et la revente du surplus sont globalement méconnues au Gabon. De même, la disponibilité de l’expertise et des solutions solaires concrètes dans les portefeuilles d’activités de certaines entreprises. Il est essentiel pour ces entreprises de communiquer afin de mettre en valeur leurs offres, notamment en termes de technologies employées, de modalités de paiement et de valeur ajoutée au profit du client.

 

Ce qu’il faut retenir

En somme, l’énergie solaire est une source d’électricité renouvelable et propre dont le potentiel dépend des technologies employées et des conditions environnantes. Plus spécifiquement, le solaire photovoltaïque dispose d’un potentiel immense au Gabon ; tant du fait des conditions environnementales que du fait des besoins croissants de la population gabonaise. L’Etat et les entreprises doivent agir de concert pour promouvoir cette source d’énergie et la rendre plus accessible au plus grand nombre. À long terme, les enjeux stratégiques de développement économique, de développement humain et d’autosuffisance énergétique dépendent de l’accès à une énergie électrique saine et scalable. Il est temps d’y investir.